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24h d’aguerrissement avec les Engagés

Nous l’avons vécu au Groenland puis à l’Aconcagua : c’est toujours le mental qui flanche le premier. Le froid, l’humidité, le manque de sommeil, la privation prolongée de confort conduisent inévitablement à une forme de déclin.

Alors que les difficultés s’accumulent de jour en jour et que les perspectives deviennent incertaines, les gestes du quotidien se font plus lourds, plus lents, moins précis. La volonté, la discipline s’émoussent progressivement. La vigilance vacille et les erreurs apparaissent, avec leur lot de conséquences, potentiellement irréversibles : une fixation de ski cassée parce qu’on a plus la force de la déglacer, un gant perdu par négligence, un réchaud qui brûle une tente parce qu’on a voulu se reposer plutôt que de le surveiller de près.

Pire, la bonne humeur et le sourire finissent tôt ou tard par faiblir. Les frictions apparaissent et la cohésion est soumise à rude épreuve.

Nous savons que ce déclin marquera aussi notre prochaine expédition. Alors comment s’y préparer dès maintenant ? Comment le contrer, le limiter ?

Par l’aguerrissement.

L’aguerrissement, cette discipline qui consiste à travailler le deuxième moteur. Celui qu’on allume lorsque le premier moteur ne répond plus. Cette capacité à aller chercher en soi d’ultimes ressources quand tout manque et que l’on se sent désarmé, défait, démonté. Par le froid, par la fatigue, par la faim, par la douleur, par l’épuisement physique… L’aguerrissement commence là où le corps dit stop et fait travailler le seul muscle qui compte quand le reste ne répond plus : le mental.

Ce weekend nous allons nous aguerrir.

Minuit

Nous débarquons du véhicule à 20km au sud d’Angers. Il fait nuit noire et 13°C. Il pleut abondamment. Nous nous armons de courage à la découverte de la première activité : une marche à l’azimut « brutal », de nuit et frontales éteintes.

Le principe est simple. Un point de départ, un point d’arrivée, écartés de plusieurs km. Il faut relier les deux points, à la boussole en marchant tout droit, quels que soient les obstacles. Champs, forêts, ronces, rivières. Tracer l’azimut en dépit des difficultés, lumières éteintes.

Nous apprenons à nous orienter de nuit, soucieux de nous préparer à cette nuit polaire qui nous attend pour notre prochaine expédition, dès le 28 décembre.

Eau, rations, réchauds, packrafts, pagaies, vêtements de rechange, nos sacs sont prêts. Ils sont lourds.

« Ah oui les gars j’ai oublié. Il y a deux filets de 5kg de pommes bios « variétés d’Anjou » dans le coffre. Embarquerez-les, ces pommes doivent nous suivre tout le weekend, juste pour nous embêter ».

S’auto pénaliser dans un effort déjà difficile, c’est aussi ça l’aguerrissement.

Nous partons du point A, guidés par Maxime sur un azimut de 95°C pour 7km.

Champs de boue, champs de ronces, champs d’orties. Thomas et Valentin regrettent d’être partis en short. Dans la forêt, la visibilité est quasi nulle. Nous progressons en chenille, accrochés au sac du marcheur devant nous pour ne pas trébucher. Les branches trempées nous fouettent le visage. Nous grimpons sur les barbelés, escaladons des murs. Le bruit des pas, le bruit de la pluie qui trempe nos goretex et les oiseaux que nous réveillons.

2h

Maxime mène l’équipe au point B. Thomas prend la relève pour un azimut à 70°C sur 5km. Direction le point C, une ferme abandonnée au bord de la Loire. L’équipe est rapidement confrontée à un mur de ronce de 2,5m de haut. Il faut franchir. Ni une ni deux, nous assemblons nos pagaies pour un usage détourné. En une vingtaine de coups de rames énergiques nous nous frayons un passage à travers cette barrière épineuse.

3h

Une forêt épaisse nous adresse une fin de non-recevoir. La végétation est terriblement dense et pleine de piques. Impossible de passer. Sans dire un mot, Thomas détache son sac et commence à ramper. Sous la boue et sous les ronciers. Le reste de l’équipe suit en poussant maladroitement les sacs et les filets de pommes. La pluie redouble. Nous devenons rapidement des serpillères boueuses et froides. Cette marche est éprouvante. Nous avons (encore) le sourire.

Après la forêt, un champ d’ortie de 1,5 m de haut se dresse devant nous. Ca réveille. Puis, les pâturages et leurs barbelés acérés.

4h

Magie de l’azimut brutal, nous arrivons très exactement au point C. Nous enfilons des vêtements secs et engloutissons nos savoureux plats Mx3. Le moral remonte d’un coup. C’est alors que nous découvrons la prochaine épreuve : redescendre la Loire sur 6km pour retrouver le véhicule, de nuit, sans frontale et sous cette pluie qui persiste.

Nous gonflons nos packrafts et les éclairons à l’aide de guirlandes. La mise à l’eau est difficile car la berge est escarpée et il y a du courant. Nous chargeons nos sacs, nos pommes bios et commençons à pagayer.  Eric et Thomas dans l’Anfibio Delta MX, Maxime et Valentin dans les MRS Adventure X2. En avant !

L’eau ruissèle le long des pagaies et trempe nos bras et nos jambes. Après le repas chaud offert par Mx3, nous revoilà replongés dans le dur de l’aguerrissement. Nous pagayons en silence. La carte est tellement trempée qu’elle n’est plus qu’une boule de carton mouillée. Inutilisable. Il faudra faire sans elle. 

La Loire nous offre son ambiance sauvage. Ses berges boisées, ses iles désertes et ses bancs de sable. De temps à autre un poisson saute devant le packraft et nous fait sursauter. Les lumières de la ville rougeoient à l’horizon. Le bruit de l’eau nous berce. Nous nous laissons surprendre par la poésie de ce fleuve. Les packrafts brillent comme des lucioles et l’ambiance est magique.  Mais le froid nous engourdit rapidement et c’est transis que nous débarquons enfin, à 200m de la voiture. Nous dégonflons les packraft et les plions précautionneusement, en réprimant quelques frissons.

Mauvaise nouvelle, nous n’avons pas accosté sur la berge mais sur une île ! Cette île est séparée de la berge par un bras d’eau. Sans demander l’avis de personne, Valentin franchit, à guet. Les camarades suivent comme si c’était une évidence. Chacun prend alors conscience que nous venons de choisir de vivre les 10h qui suivent avec les chaussures trempées. Une réalité lourde de conséquences. Il est 6h10, le coq chante.

La voiture ! Nous embarquons. Bien que déjà saisis par le froid, nous ouvrons grand les fenêtres et mettons la climatisation à fond. L’air frais s’engouffre, la musique est au maximum. Nous roulons. L’aguerrissement continue.

Arrivés à bon port, nous voilà immédiatement projetés dans une cave exiguë, humide et complètement noire. Pas un filet de lumière. Nous tâtonnons. Nous fouillons dans nos sacs. Le but de l’exercice est simple : savoir manipuler son matériel dans une obscurité totale en grelottant de froid, sans le perdre.

« Dans 5 min tout le monde hors de la cave ! » Nous sortons en ambiance rapidité pour découvrir la prochaine épreuve. Il est 7h30, il fait jour et il pleut, encore et toujours.

Nous nous mettons en caleçon autour d’une malle. Mystérieuse. A l’intérieur, deux arrosoirs et un morceau de savon. Tout le monde comprend instantanément. En 10 min, nous avons rempli la malle d’eau froide pendant qu’Eric sort une à une du congélateur douze bouteilles d’eau gelées et plusieurs plaquettes de glaçons.

« Attention ça va piquer »

3min  de gainage frontal en chantant, le temps que la malle refroidisse. Puis pour préparer nos corps au choc glacial qui nous attend, nous rampons dans l’herbe mouillée. D’abord à plat ventre, ensuite sur le dos. Nous voilà prêts pour l’épreuve de la malle.

« L’apéro est terminé ! »

Tour à tour nous nous immergerons dans l’eau glacée et refermerons la malle obscure sur nous. Nous patientons de longues secondes. Les dents claquent, les poumons hyper ventilent. Glacial, un vrai baptême. Nous y passerons tous avant d’enchainer sur l’épreuve suivante.

Nous tâchons d’allumer un feu avec un tas de branchages détrempés. Nous y parvenons tant bien que mal. Nos corps se réchauffent. Nos mâchoires cessent de claquer. Nous séchons et notre peau tiédit. L’espoir renaît, quel bonheur !

Soudainement, Valentin débarque avec deux arrosoirs pour mieux réduire ce feu d’espoir à l’état de flaque de cendres. Une épaisse volute de fumée blanche s’élève dans le ciel gris. Consternés, nous nous remettons à ramper dans l’herbe, torse nu. Quelle épreuve de sacrifier la tiédeur de nos peaux à cette herbe mouillée et froide.

L’aguerrissement c’est aussi savoir gérer l’ascenseur émotionnel. Savoir qu’un frêle réconfort peut fatalement être annulé par une épreuve encore plus terrible et que malgré tout, il faudra bien continuer.

Nous n’en menons par large quand nous enfilons nos vêtements trempés et nos chaussures dégoulinantes pour retourner patienter dans notre petite cave humide et obscure. Une barre de céréale plus tard et nous découvrons la suite des réjouissances.

[A partir de ce moment nous n’étions plus en état de prendre des photos]

« Tous à la rivière »

Mais quelle rivière ? Nous courrons vers le St Aubin, un affluent de la Loire. Boueux et froid. Nous passerons les trois prochaines heures à piaffer dans cette vase, ensemble.

Nous commençons par remonter le St Aubin sur 200m, en passant dans la buse par laquelle il s’écoule.  Le groupe s’enfonce jusqu’aux genoux, parfois jusqu’aux hanches. Il faut un effort de titan pour s’extraire puis sombrer à nouveau, à chaque pas.

Arrivés, enfin.

« Tout le monde dehors ». Face à nous, un tas de terre duquel affleurent des pierres de toute taille.

« Choisissez une pierre »

Chacun choisit une pierre d’un poids compris entre 20kg et 45kg (Eric n’avait pas froid aux yeux). Nous repartons « bassouiller » dans le St Aubin avec ce chargement. Sous le poids des cailloux nous croulons dans la vase.

Parfois on entend un grand « plouf » derrière soi. Alors on se retourne, on essuie ses yeux mouillés par la pluie et on distingue un camarade à genoux qui cherche sa pierre dans la vase. Personne ne s’étonne de ce panorama absurde.

Sourire et faire face.

Nous y sommes. Fatigués, nous avons froid, le Saint Aubin empeste et nous avons mal aux bras. Et pourtant, il faut aller de l’avant. Arrivés au bout, nous déposons enfin nos pierres. Soulagés.

« Tous à la rivière »

C’est reparti. Chacun serre les dents pour éviter la fracture de moral. Deuxième convoi de pierres dans la rivière. Nous en venons à bout.

« Tous à la rivière »

Sérieux, ça recommence encore ?! Mais quand est-ce que ça va finir ?!

Nous contemplons un amas d’arbres abattus. Les troncs forment un tas de 5 mètres de haut. Nous jetons notre dévolu sur un joli bout de bois de 15m de long. Nous sommes quatre, c’est parti. Le tronc chargé sur l’épaule, nous entamons un autre chemin de croix. Nous alternons les flexions et les changements d’épaule, les côtes et les descentes. On entend souvent l’un de nous grogner lorsque dans un virage ou un relief, le poids du tronc bascule sur lui et l’écrase. Plus personne ne parle, plus personne ne pense. Nous faisons corps.

La balade finie, nous « rangeons » le tronc là où nous l’avons trouvé.

Convaincu que nous allons rentrer et en finir avec cet interminable aguerrissement (qui pourtant ne dure que depuis 15h) nous entendons, « vu le ruisseau d’eau croupie ? »

En effet, nous n’avions pas remarqué qu’un discret ruisseau d’eau noire serpentait sur une cinquantaine de mètres le long du chemin.

Pas besoin d’en dire plus pour que Maxime s’élance et commence à ramper avec acharnement. L’eau est glaciale et le recouvre allégrement. Pour avancer, nos mains fouillent le fond de la vase et surprennent même des grenouilles qui ne s’attendaient pas à nous voir surgir. L’eau dégage une odeur pestilentielle. C’est infâme. Sans doute l’œuvre de la station d’épuration qui trône fièrement 100m derrière nous. Le moral de certains donne des signes de faiblesse. C’est l’épreuve de trop et pourtant, il faut bien y faire face. Abnégation et dépassement de soi : l’aguerrissement porte ses fruits.

Quand nous devrons brosser nos duvet plein de glace le matin par -30°C, au cœur de la nuit polaire, quand nous devrons lacer nos chaussures gelées ou potentiellement nous extraire d’un lac glacial après une journée de marche, nous repenserons à cet ultime ruisseau et affronterons ces épreuves, sans nous apitoyer sur nous-même. Du moins, c’est ce que nous espérons.

 

13h

Le matériel avant l’homme.

Nous passons une longue heure sous la pluie à laver et à brosser méticuleusement l’ensemble de nos affaires, vêtements, sacs et équipement divers et variés. Personne ne traine, personne ne rechigne. Tout le monde est à pied d’œuvre. Les gestes sont exécutés précisément et énergiquement. Il faut que ça brille et fissa. Malgré ce que nous avons vécu, nous sommes au summum de notre efficacité : l’alchimie a fonctionné.

Il est alors temps pour les Engagés de prendre une bonne douche (chaude) et de se laisser aller à une courte sieste près de la cheminée.

Nous tirons un bilan positif de cet entrainement particulier et nous promettons de réitérer l’expérience l’année prochaine, cette fois-ci pour une durée de 48h.

Valentin Drouillard

Instagram @les.engages
Site internet : https://www.engages.space/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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