Au pied du sapin de Noël, l’hiver dernier, Jonathan avait trouvé un jouet gonflable en forme de portaledge, il n’avait alors qu’une envie, tester ça en paroi. Il imaginait déjà ses rêves les plus fous se réaliser grâce à ce nouvel objet et il trépignait d’impatience de le tester ailleurs que pendu dans son salon.
Le Heavy and Slow est un style de grimpe méconnu qui va à contre-courant des pratiques contemporaines de l’alpinisme ayant tendance à viser légèreté et rapidité.
Le Grand Capucin, paroi granitique haute d’environ 450m se prête mal au style Heavy and Slow, la plupart des gens y envisagent des ascensions à la journée étant donné la facilité d’accès et l’absence de bivouac confortable en paroi. Quelle idée saugrenue nous avons eu de vouloir passer trois journées sur cette paroi, le simple fait de tester le nouveau joujou de Jo paraissait être une explication suffisante, autant mêler l’utile à l’agréable et tenter de répéter en libre la voie du Trésor de Romain, 8a+ max.
C’est donc avec deux sacs de presque 20kg chacun que nous avançons vers le Cap, encore dans les nuages. La météo médiocre et les fissures encore mouillées du bas de la voie paraissent peu accueillantes. Nous nous engageons tout de même dans les premières longeurs de l’Elixir d’Astaroth, des 6b/c qui nous demandent une certaine concentration au vue de la relative humidité du rocher.
Arrivés sur la vire Bonatti, le temps n’évolue pas voire empire, nos espoirs de taper des essais dans la première longueur dure sont réduis à néant. Nous décidons donc d’installer notre premier camp ici, nous gonflons le fameux objet pour le poser sur une petite vire. Notre projet aux apparences yosemitiques semble pour l’instant mal en point.
Le lendemain, le soleil fait enfin son apparition et remet du baume à nos deux petits coeurs en manque de motivation. La longueur clé, surnommée « Tommy » par les ouvreurs, surplombe nos regards éberlués. Qu’est ce que ça penche !! Une première montée de repérage et quelques beuglements plus tard, je réussis à enchainer et quelques cris encore plus stridents plus tard, c’est Jonathan qui enchaine.
Au fur et à mesure de la journée, les cordées nous dépassent par la droite, par la gauche, c’est ça aussi le plaisir du Heavy and Slow, être sur de croiser du monde qu’on connait et prendre le temps de discuter.
Nous continuons tranquillement notre chemin jusqu’au pied du 8a suivant, « Batman ». Une première montée ne suffit pas et nous posons notre campement au relais de cette longueur. Plein gaz et bien gonflé, notre bivouac a maintenant bien fier allure.
Le matin suivant, nous nous faisons à nouveau cueillir par une fraicheur désagréable qui met à mal le premier essai de Jonathan, pourtant ça collait … Un peu trop peut-être.
Les premiers rayons du soleil arrivent et me permettent d’enchainer la longueur, encore des cris mais surtout beaucoup de joie. Jonathan fait de même et voilà l’enchainement de cet pépite dans la poche, encore une occasion de beugler au milieu de cette belle paroi.
Une pensée m’a alors traversé l’esprit :
« Il y a deux ans, je t’assurais dans l’enchainement de cette magnifique voie, te voir évoluer sur les fissures granitiques d’une des plus belles faces du massif dans l’une des voies les plus dures m’avait tellement inspiré.
Quand je t’ai rencontré, tu représentais pour moi l’alpiniste auquel j’aimerais un jour ressembler, ta vision de la montagne m’a guidé dès mes premiers pas de montagnard jusqu’à aujourd’hui.
Tes projets, tes idées, tes croix ont résonné en moi bien avant que je te connaisse.
Ce fut un honneur pour moi de te rencontrer et de construire une amitié avec toi. Tu m’as tant appris et avais encore beaucoup de choses à m’apprendre, sur la grimpe, la montagne, l’amour, la vie …
Voilà 8 mois que tu nous a quitté et à chaque séances de grimpe, chaque sorties en montagne, ta voix résonne en moi. Comme j’aurais aimé t’appeler avant-hier pour te dire qu’avec Jonathan Crison, on avait nous aussi défouraillé cette voie !!! La bise Maxou, j’espère que tu les démontes tous au Güllich la-haut. »
Texte : Symon Welfinger
Photo : Arthur Jourdan et Jeremy Brauge