Damien, notre photographe outdoor, revient pour nous sur sa dernière aventure engagée : « Zéro monnaie Zéro déchet » !
Damien à toi la parole :
« Tout est parti d’un simple constat : plus ma pratique des sports outdoor évoluait, plus l’impact écologique qu’elle génèrait était important. Il me fallait donc agir et dès à présent réduire mes déplacements sur d’autres continents pour minimiser mes émissions en CO2. Pourtant j’adore prendre l’avion, découvrir de nouveaux pays, rencontrer de nouvelles personnes, mais l’impact sur notre planète devenait trop important. Cette année particulièrement je me suis aperçu qu’il était possible de vivre des aventures extraordinaires en restant proche de chez soi. J’ai donc décidé de redéfinir les paramètres de mes nouveaux projets…
Tout prend forme dans ma tête il y a deux ans : je veux partir grimper et ouvrir une grande voie en me déplaçant à vélo. Quelle destination choisir ? J’ai envie de dépaysement ! La Suisse ? L’Allemagne ? L’Espagne ? Pourquoi pas un tour d’Europe ? Je ne dispose que d’un mois pour réaliser ce projet, le tour d’Europe des falaises sera donc pour plus tard. Durant ma jeunesse, pendant les vacances d’été, j’ai beaucoup voyagé en famille dans diverses régions de France. Mais il y a un endroit où je n’ai jamais mis les pieds : la Corse ! L’île de beauté, j’en ai tellement entendu parler, que je suis très tenté d’aller voir de moi-même ce qu’il en est ! En plus on dit que le rocher y est magnifique ! Comment y aller ? En vélo, depuis Voiron jusqu’à Marseille pour prendre le ferry ? Ces gros bateaux sont pratiques, ils vont vite, mais consomment énormément de carburant. La liaison Continent-Corse émet environ 0,547Kg de CO2 par passager et par kilomètre. Cela représente 241 kg/pers ! Le ferry ne sera donc pas une option pour cette aventure. Alors pourquoi ne pas y aller poussé par le vent ? A bord d’un voilier ! Voilà comment est né le projet Zéro Monnaie, Zéro Déchet.
Il ne me reste plus qu’à trouver des amis pour adhérer au projet et suffisamment fous pour y croire. Sans aucune hésitation, je pense à Bast et Louis mes partenaires du projet Badaboum. Ce sont mes fidèles compagnons de cordés avec qui j’ai vécu des moments forts de réussites mais aussi de grosses galères. Ils ont le profil idéal pour accepter ce genre de défi ! Quelques jours passent, je les croise à la salle d’escalade et entre deux longueurs je leur expose mon projet. Curieux, il m’écoute jusqu’à la fin… Le projet leur plaît mais l’un étant nouvellement papa et l’autre ayant trouvé un nouveau travail, ils vont avoir du mal à dégager autant de temps, ils déclinent donc mon invitation. Quelques mois passent et je me retrouve au camping d’Ailefroide, entouré d’amis grimpeurs et à cette occasion je rencontre Ben ! Nous avons un ami en commun, le contact est facile. Nous discutons de grimpe, d’entraînements et de nos projets. Il me raconte qu’il a vu il y a quelque temps une vidéo qui s’appelle « Projet Badaboum » et qu’il adhère complètement à ce genre de projet. Je lui explique que je faisais partie de cette aventure et que je cherche des grimpeurs motivés pour un nouveau projet appelé Zéro Monnaie, Zéro Déchet. Je partage avec lui la complexité de trouver des gens motivés pour une aventure regroupant du voyage à vélo, de la navigation en voilier, de la grimpe et de l’ouverture. Malgré tout il me répond « je suis ton homme » ! Nos disponibilités correspondent et son meilleur ami, cyclotouriste amateur et grimpeur passionné, est également très intéressé par ce projet. L’équipe est formée ! Il ne reste plus qu’à résoudre les questions de logistique…
Nous avons les vélos et nos jambes pour rouler, mais il nous faut trouver un voilier pour traverser la méditerranée et du matériel pour équiper la voie de nos rêves. Pour le voilier, nous prenons contact avec diverses associations, mais ce sera finalement sur la bourse aux équipiers que nous trouverons Oliver, heureux propriétaire du voilier «AVENTURE ». Montagnard à ses heures perdues, il est rapidement séduit par notre projet. A partir de là, tout s’enchaîne rapidement. Pour la partie ouverture de voies nous échangeons avec des équipeurs locaux et je récupère un perfo et des spits auprès de différents partenaires et amis. A présent l’itinéraire est tracé, les 150 kg de matériel et effets personnels sont répartis dans nos sacoches et remorques. Nous sommes prêts à partir, l’excitation est à son comble. Que l’aventure commence !
Vendredi 03 Octobre 2020 à 9h30, Ben, Sven, moi-même et les vélos sommes prêts pour le grand départ. La température est parfaite pour rouler, ni trop chaud, ni trop froid, en revanche la météo, est légèrement capricieuse et très humide. Ben optera donc pour une tenue adaptée avec veste et pantalon de pluie. Sven quant à lui optera pour un ensemble intermédiaire avec veste de pluie et pantalon de grimpe. Pour ma part, éternel optimiste… à tort, pensant que la météo s’améliorera, je décide de partir en short et en tee-shirt pour ne pas avoir trop chaud. Les premiers tours de roue sont exceptionnels. Est-ce le goût de liberté ou simplement l’excitation du départ qui rend ce moment si particulier ? Certainement un mélange de deux. Mais après seulement 500 mètres la réalité nous rappelle à l’ordre, crevaison ! On s’organise rapidement, je démonte le pneu, Sven s’occupe de la rustine, je remonte la roue et Ben regonfle le tout, l’opération dure moins de 5 minutes. Nous reprenons la route, toujours aussi joyeux, on se sent fort, rien ne peut nous arrêter ! Nous avançons vite, Moirans, Tullins, Vinay, Saint Marcellin, Romans sur Isère, les kilomètres défilent, déjà 60km parcourus. Puis survient une seconde crevaison, et toujours cette pluie et le vent qui ne cessent pas. Je réalise que mes pneus ne sont pas adaptés au poids de mes sacoches et aux épines qui jonchent le sol des chemins de campagne. De plus ma tenue n’est absolument pas adaptée à ce déluge, je suis frigorifié et trempé. Je me laisse finalement convaincre par les copains et je profite d’un petit abri dans un village pour me changer. Au même moment nous voyons à l’autre bout de la rue un homme qui nous fait de grands signes pour le rejoindre. Il nous propose un thé en attendant que la pluie se calme. Il fait meilleur à l’intérieur, je me réchauffe petit à petit pendant que les vêtements sèchent sur les radiateurs. Nous nous présentons à nos hôtes, Laurent et à sa femme Lucie notre projet. Ils sont très réceptifs car ils ont eux-mêmes beaucoup voyagé en vélo. Nous rigolons, l’ambiance est chaleureuse, le voyage à vélo apporte déjà son lot de surprises et de belles rencontres ! Mais la montre tourne, la pluie tombe toujours et il est trop tard pour repartir. Laurent et Lucie nous proposent très gentiment de dormir chez eux. Nous acceptons avec joie car l’idée de passer la première nuit sous la pluie nous enchante gère. Notre première journée se termine donc ainsi avec 60 km au compteur, mais nous sommes loin de notre objectif de 100km/jour qui doit nous permettre d’arriver à temps pour le départ prévu du voilier. Nous restons malgré tout confiants, nous rattraperons notre retard plus tard. Après un repas et une nuit de sommeil réparatrice, nous reprenons la route à 6h30. La motivation est toujours là, Laurent a regardé la météo des vents sur Windy, nous devrions avoir un vent favorable durant le reste de notre parcours. Après quelques tours de pédales, nous nous sentons bien au chaud dans nos vêtements et nous sommes prêts à avaler les 120km du jour. Nous roulons à bonne allure, nous essayons de tenir les 20km/h de moyenne, 5km puis 10km, c’est top, on avance vite ! Le vent se lève doucement mais pas dans le sens prévu. Nous prenons le vent en pleine face. Il ne nous quittera pas pendant les 100 prochains kilomètres. L’allure devient difficile à tenir, nous fatiguons et sommes loin de notre objectif du jour. Il est 12h et nous n’avons parcouru que 50km. Le poids du chargement et le vent de face ne nous rendent pas la tâche facile. Nous mangeons et buvons régulièrement, voilà notre carburant pour avancer le plus possible afin de rattraper notre retard. Nous n’avons qu’une matinée de sécurité pour atteindre le bateau à temps. Cette journée semble interminable, la nuit commence à tomber, nous devons trouver un abri pour la nuit. Il est déjà 21h et nous avons fait 110km, il en manque 10. Nous trouvons finalement une tribune dans un stade de foot qui nous abritera du vent grâce à son toit gigantesque et dispose de l’eau courante et de WC. Ce sera parfait pour y passer une nuit bien méritée. Le repas s’organise tout comme les couchages. Ce soir le silence règne, nous sommes assommés par la fatigue. Le lendemain matin nous assistons à un lever de soleil magnifique, nous engloutissons notre petit déjeuner et nous repartons. Le vent souffle toujours. Les journées se répètent et se ressemblent : vent, nourriture, hydratation et crevaisons. Mais notre détermination est toujours intacte. Nous sommes heureux, motivés et on se sent libre malgré toutes ces difficultés. Je me rends compte à quel point nous avons de la chance et je savoure chaque seconde malgré les déconvenues. Nous arrivons le troisième jour à Nîmes en fin de journée et assistons à un coucher de soleil splendide. Ce spectacle nous donne des ailes et nous fait oublier la fatigue. Nous avons parcouru 120km et il est seulement 19h. Nous décidons donc de pousser le plus loin possible et pourquoi pas arriver ce soir au bateau ? Finalement la fatigue se fait sentir rapidement après un pique-nique improvisé. Les petits bobos accumulés tout le long commencent à nous faire souffrir, notre corps n’est pas habitué à tracter de telles charges. Nous nous arrêterons finalement dans un champ au bord de la piste cyclable pour dormir à la belle étoile. Flemme quand tu nous tiens… on ne sortira pas les tentes !
« Il ne nous reste plus que 33km à parcourir, la matinée de demain va être tranquille », voilà ce que je me dis avant de m’endormir profondément. Le réveil se fait en douceur avec le lever du soleil ! Nous rangeons nos affaires et nous reprenons la route. Je sens mes jambes fatiguées, j’ai l’impression de rouler au-delà de mes capacités. Je demande aux copains de ralentir le rythme car on va trop vite et je n’y arrive plus. Sven et Ben me regardent l’air halluciné et me répondent à l’unisson « mais on ne roule qu’à 10km/h ! ». Je ne comprends pas ! Comment se fait-il que ce soit si dur de rouler aussi doucement ? Après quelques kilomètres, nous réalisons que la roue de ma remorque est complètement à plat. Nous tentons une réparation de fortune mais malheureusement la valve est à moitié arrachée, il nous sera impossible de la sauver. Nous nous répartissons donc les affaires pour alléger la charrette. Ce sera avec un pneu à plat que je terminerai les derniers 30km. Ces derniers tours de roue seront à la fois durs et magiques. Les paysages qui défilent sont incroyables. Nous arrivons au Grau du Rois que nous traversons pour rejoindre la marina de Port Camargue, là où est amarré le voilier. Nous sommes accueillis par Oliver et nos coéquipiers. Quelle joie d’avoir parcouru autant de kilomètres par la seule force de nos jambes. Nous sommes heureux et soulager d’être arrivés dans les temps. Il nous faut à présent ranger nos affaires à l’intérieur du bateau, demain c’est le grand départ et la suite de notre aventure.
2 semaines ont passé et les conditions météos sont toujours compliquées pour effectuer la traversée. Moi qui pensais qu’il fallait simplement sortir du port et hisser la grand-voile, l’affaire s’avère bien plus compliqué que ça ! Durant ces 2 semaines nous partageons notre temps entre navigation côtière, ce qui nous permet d’apprendre les rudiments de la voile, et escalade dès que nous trouvons du rocher, le plus souvent dans les Calanques. Nous faisons des points météos très régulièrement pour suivre l’évolution des anticyclones en espérant trouver une petite fenêtre de 3 jours.
Après cette longue attente, toujours dans l’incertitude, je commence à penser qu’il ne sera plus possible de traverser et de réaliser notre projet. Puis la bonne nouvelle tombe ! Nous partirons en fin de journée des îles de Porquerolles, où nous patientions, direction Porto Vecchio. 19 heures, la nuit arrive, nous organisons les quarts de 2h chacun. Nous devons être très attentifs au vent, aux ferrys, aux cargos/pétroliers, aux filets de pêche et aux autres plaisanciers. Pas le droit de succomber au sommeil, sous peine de mettre le bateau et l’équipage en difficulté. Heureusement, nous serons deux par quart.
C’est parti ! Une sensation incroyable m’envahit au fur et à mesure que la nuit tombe. Les étoiles sont de plus en plus présentes, la pollution lumineuse des grandes villes de moins en moins visible, nous voguons dans la nuit entre le calme de la mer et l’angoisse de l’inconnu.
La houle creuse la mer de près de 4 mètres, le reste de l’équipage allongé dans leur bannette a du mal à trouver le sommeil. Nous sommes directement plongés dans l’ambiance de la navigation hauturière bien serrés dans nos baudriers et longés à la ligne de survie. Une personne à la mer a peu de chance d’être retrouvée, il est donc impératif de faire preuve d’une grande vigilance. Pendant les 43h de navigation pour cette traversée à la voile, nous aurons un vent quasi constant. L’expérience est formidable. Je me le répèterais toute la traversée. Chanceux nous le sommes également car nous croiserons la route d’une baleine et de quelques dauphins, la nature est magnifique, nous avons la sensation d’être seul au monde.
Le deuxième jour, nous arrivons à Porto Vecchio en fin d’après-midi, je découvre cette île pour la première fois de ma vie, un vrai bonheur. Mais pas le temps de rêver, nous devons nous organiser rapidement car nous avons déjà perdu beaucoup de temps et nous sommes en retard par rapport au planning que nous nous étions fixé. Dans ce genre de projet n’oublions pas que nous sommes tributaires de la nature et d’éléments que nous ne maîtrisons pas. Le départ en direction de Bavella est fixé au lendemain le temps de se reposer et de faire quelques courses de première nécessité. Nous sommes à une cinquantaine de kilomètres et 1600 mètres de dénivelé du Col de Bavella. Les premiers tours de roue sont agréables et je suis heureux de pédaler. Sur un bateau les jambes sont relativement peu sollicitées. Nous nous enfonçons peu à peu dans l’arrière-pays Corse. Nous perdons de vue la baie et je suis émerveillé par le paysage que j’ai devant moi. Ça monte, c’est soutenu, le poids du matériel se fait ressentir mais la motivation est bien là. 1, 2, 3 et 4, je compte à chaque fois que j’appuie sur mes pédales. La nuit tombe et nous assistons à un coucher de soleil phénoménal, le premier d’une longue série. Il est temps de se poser, il est 21h, il fait nuit noire, nous avons fait les 3/4 du chemin et nous avons faim. Nous nous éloignons de la route pour trouver quelques mètres carrés de terrain plat et confortable. Après une bonne nuit, il est temps de repartir, il nous reste moins de 20km pour arriver enfin à notre objectif, Bavella ! Tous mes sens sont en alertes, les odeurs du maquis, les couleurs vertes et ocres sont omniprésentes et la vue est grandiose. L’excitation monte au fur et à mesure que nous nous rapprochons du col. Nous réalisons petit à petit le chemin parcouru depuis notre départ, uniquement grâce à la force du vent et à nos jambes. Un sentiment de liberté m’envahi encore. J’aimerais tellement partager cette sensation avec la team du bateau. Je réalise peu à peu que cette aventure prévue à 3 est finalement devenue une aventure à 12, grâce à l’équipage rencontré sur le bateau.
Lorsque nous arrivons au col de Bavella, nous sommes accueillis par le vent, le froid, quelques nuages solidement agrippés aux falaises et des touristes particulièrement surpris de nous voir avec nos vélos chargés à fond. Il y a du rocher de partout, c’est impressionnant ! Nous mangeons un sandwich au fromage de brebis avec quelques tranches de lonzo, avant de jeter notre dévolu sur un petit spot de couenne juste au-dessus du col. Nous découvrons un granite de qualité avec des voies dans le 7 max. C’est beau, c’est physique, ça nous défoule et on se fait plaisir après plusieurs jours sans grimpe. Il est temps de retourner à nos vélos, rejoindre nos quartiers pour la nuit et surtout regarder quelle grande voie nous allons grimper le lendemain.
Avant de venir en Corse, nous avions contacté différents acteurs locaux, ouvreurs et grand amoureux de leurs aiguilles, Carlos Ascensao , Jeff Andreucci , Thierry Souchard et Bertrand Maurin, afin de leur parler de notre projet. C’était la première fois pour Sven, Ben et moi que nous mettions les pieds à Bavella, c’est également une première pour nous d’envisager l’ouverture d’une voie. Avec beaucoup de gentillesse et de connaissance, ils nous ont fortement conseillé avant toute chose de grimper diverses voies afin de se faire au style, aux cotations, à l’éthique et de bien appréhender les différents secteurs. Il n’était pas envisageable pour nous de venir à Bavella pour ouvrir une voie sans en informer ces 4 passionnés.
Nous choisissons « le Temps Peau Noir sur la Punta di l’Agellu », une voie ouverte par la famille Petit. Ce sera la première d’une longue série ouverte par Arnaud Petit. Au programme 130m en TD+ 6B+ de pure grimpe entre dalle, tafoni et points espacés, tout y est pour se faire plaisir. La grimpe y est superbe, le rocher d’une qualité incroyable et les relais 5 étoiles. Nous arrivons rapidement au sommet, une aubaine pour prendre le temps de regarder tout autour de nous et comprendre où sont situés les différents secteurs. Il est temps de redescendre et de choisir notre prochaine voie. Il nous reste à peine 5 jours, nous voulons en profiter à fond. Malheureusement le retard pris pour la traversée en voilier va nous poursuivre tout au long de ce projet.
La seconde voie choisie est « Alexandra » (220m TD 6B), première grande voie ouverte sur le contrefort de la Punta Rossa et réputée pour être magnifique. Le plan : grimper vite et faire un petit repérage de la marche d’approche menant à la voie que nous ferons le lendemain. Malgré un super topo bien détaillé (Bavella Corsica Escalades Choisies, merci Thierry et Bertrand), les approches sont parfois « pommatoires » à Bavella ! Nous arrivons finalement au pied de la voie, il est tôt et sans surprise nous savons qu’il va falloir utiliser nos pieds, notre équilibre et notre plus belle escalade. Cette voie est un mix de dalles magnifiques, de grimpe entre les points, de tafonis et de pas de bloc sur la dernière longueur. Encore un régal, c’est beau, ça fait parfois des petits « guilis » dans le ventre et l’escalade est géniale. Mais il faut redescendre pour faire la marche d’approche qui nous mènera à la prochaine voie. Ce sera l’occasion de laisser notre matériel au pied de la voie pour nous alléger au maximum car le lendemain il faudra affronter les 1h30 de marche d’approche. Encore une fois, nous nous perdons, la nuit tombe et nous errons dans le maquis. Avec un peu de persévérance, Ben réussira à trouver le bout du chemin et c’est avec le cœur et les sacs à dos légers que nous redescendons dans la nuit.
Le troisième jour, une ligne magistrale nous attend et pas des moindres avec un dièdre taillé au couteau. Le rocher y est magnifique et prend des formes extraordinaires, on se croirait dans un autre pays. Au pied, cette voie est inquiétante voir intimidante. Ne me sentant pas à la hauteur, j’abandonne Ben et Sven pour une journée de repos et les laisserai seuls dans cette entreprise de taille. Amis grimpeurs, si vous êtes à l’aise dans le 7ème degré de type fissures et dièdres, je vous invite à aller traîner vos chaussons dans Les Fils de la Puta Rossa (230m ED 7B) sur la Punta Rossa. Ben et Sven y ont vécu une ouverture extraordinaire et sont revenus fous et excités par une grimpe variée, engagée et une ligne d’ampleur. Ils se sont battus et ont donné tout ce qu’ils avaient pour venir à bout de ce bijou. Mention spéciale à Marie-Line Madelaine, Florent Baghioni et Lionel Catsoyannis qui ont ouvert cette ligne en une journée !
Après une nuit de sommeil bien méritée, nous voilà en pleine forme pour nous attaquer au « Saint Graal de Bavella ». Elle est plus classique que les classiques, en a vu trembler plus d’un et usera plus la semelle de vos chaussons que toutes les voies que vous n’aurez jamais grimpées. C’est un mythe et nous en rêvions. Pour cela nous décidons de nous lever tôt afin d’être les premiers dedans. Malheureusement, le changement d’heure aura raison de notre motivation et nous prendrons une heure de retard. Qu’à cela ne tienne, nous sommes plus excités que jamais et nous nous dépêchons d’engloutir notre petit déjeuner. Le départ est lancé, nous marchons à bonne allure, le chemin est très parcouru et les indications du topo sont très précises. Nous avons bientôt notre objectif en vue, je me dis que cette ligne est magnifique et que j’aurais aimé pouvoir l’ouvrir. La marche d’approche est agréable, la vue sur les autres Punta est imprenable. Nous arrivons enfin au pied du « Dos de l’Éléphant » (280m TD+ 6B+) ! J’en ai rêvé depuis longtemps, j’en avais beaucoup entendu parler et pour l’occasion, Thierry (membre de l’équipage) et Oliver (le Capitaine du navire) se joignent à nous. Nous découvrons une voie hyper variée sur les 5 premières longueurs. Alternance de dalles, de tafonis, de dièdres et de fissures. Tout y est, c’est un enchantement pour les doigts de pieds. Vient ensuite les longueurs attendues. Le rocher se couche peu à peu et les mains disparaissent. Nous entrons dans le vif du sujet. Les dernières longueurs sont magiques, des dalles positives, techniques, tout en sensation avec des pieds à plats ou sur des creux légers et des bosselettes à peine visibles. Un vrai régal, nous sommes heureux d’avoir de la marge, je n’ose imaginer les grimpeurs dans leur niveau max en tête. Nous bouclons la voie plus rapidement que prévu, nous sommes aux anges, les mollets fatigués et les doigts de pieds en feu. Elle mérite amplement son statut de classique, un vrai bijou et certainement dans le top 3 de mes grandes voies favorites. Nous profitons de l’arrivée au sommet pour manger un bout avant de tirer les rappels !
Après toutes ces émotions, nous devons penser à la suite, je veux dire au retour. Nous avons pris 2 semaines de retard avec les mauvaises conditions météo à l’aller puis nous avons mis 2 jours à vélo pour arriver à Bavella et déjà fait 4 jours de grimpe. La météo annonce l’arrivée d’un anticyclone dans 4 jours, cela veut dire une fenêtre météo pour la traversée retour. De plus nous commençons à entendre parler d’un nouveau confinement possible. Si nous ne profitons pas de ce créneau favorable pour retourner sur le continent, cela veut dire que notre retour pourrait-être retardé d’une à 3 semaines, voire plus… La décision est prise, il ne nous reste que 2 jours sur place. Nous les emploierons à repérer de potentielles lignes à ouvrir. Nous n’aurons pas le temps de faire plus, nous nous mettons donc d’accord pour revenir au printemps prochain afin de réaliser notre objectif et ouvrir une nouvelle voie. Comme prévu, nous profitons de la journée suivante, pluvieuse, pour aller repérer un bout de rocher, une pointe magnifique. Nous nous enfonçons dans le maquis, toujours plus dense, en suivant la trace des sangliers. L’expérience est géniale et l’excitation est à son comble. Nous allons peut-être trouver notre prochain objectif. Après une bonne heure et demie de bartas, nous réalisons qu’il y a un chemin, un peu plus loin qui vient d’être balisé. Y-a-t ’il quelque chose d’ouvert ? Rien ne l’indique. Après une bonne journée à repérer et faire des photos nous décidons de rentrer au camp pour se sécher, très satisfait de notre journée. Trouver une ligne, c’est comme aller aux champignons. C’est de l’expérience, une connaissance du territoire, un peu de chance et beaucoup de persévérance. Nous enverrons plus tard un message à Carlos et Jeff (les ouvreurs locaux) pour leur demander s’ils ont entendu parler de quelque chose de ce côté-ci du rocher.
Le lendemain matin nous nous levons tranquillement, faisons sécher nos affaires au soleil et plions lentement le camp, déjà nostalgique du temps passé à Bavella. Les vélos sont chargés, nous reprenons la route avec pour objectif une couenne à une dizaine de kilomètre de Bavella. Nous arrivons au parking en milieu d’après-midi, prenons le chemin et rapidement nous nous perdons. Ça sent le but à plein nez et nous sommes déçus. Nous nous rabattons alors sur un petit spot 2km plus loin histoire de nous défouler. La nuit tombe, demain sera notre dernier jour sur l’île de beauté.
Le jour se lève, la motivation est là, le chemin de retour sera incroyable, avec une vue sur la mer tout le long entre Solenzara et Porto Vecchio.
Notre aventure touche ainsi à sa fin. Le retour à bord du voilier éponyme se fera sans encombre, nous sommes heureux de retrouver notre équipage. De retour à la maison, confiné après cette aventure incroyable qui aura duré 1 mois, je garde des souvenirs plein la tête. Même si nous n’avons pas pu ouvrir de voie ce que nous avons vécu était beaucoup plus intense. Je ne regrette pas cette aventure gagnée à la force du vent et des cuisses, quelle fierté d’avancer sans abîmer la nature. Nous avons profité à 200 %, appris énormément sur la voile, la météo et le vent. Nous sommes prêts à repartir en mode « zéro carbone ». Cela ne conviendra probablement pas à tout le monde, mais je ne saurais vous le recommandez !
Notre aventure en quelques chiffres :
– 400 Km et 5000m de D+ à vélo
– 50 kg de matos chacun sur les vélos
– 200 km avec le mistral en pleine face à vélo
– 15km/h de moyenne sur les 400km de vélo
– 5 nœuds de vitesse moyenne et 9 nœuds de vitesse max en bateau
– 12 membres d’équipage à bord
– 49 pieds de coque
– 1 mois aller-retour