Après une première expédition au Groenland suivi d’une ascension de l’Aconcagua, les engagés ont rapidement repris la route de l’entrainement avec une traversée du Morvan en marche forcée. Un seul objectif : être opérationnel pour la prochaine expédition.
Le Morvan c’est un état d’esprit…
Sur le groupe de discussion qui nous sert à préparer la traversée, Valentin s’exprime :
Petit laïus sur le Morvan pour aligner les mentalités et maximiser ainsi nos chances de réussite.
Le Morvan ce n’est pas du sirop.
120km en autonomie, (très) peu de sommeil, des journées chaudes et des nuits froides, potentiellement humides.
Personnellement, je n’ai jamais réussi à terminer un Morvan, malgré deux tentatives : épuisement physique et manque de temps.
Nous avons 48h cette fois. C’est jouable si nous faisons preuve de discipline et d’entraide.
La discipline : des pauses d’une durée maîtrisée (donc, avec un maître du temps), une cadence de marche adaptée, souple et régulière, des réveils aussi matinaux que secs et de l’abnégation, beaucoup d’abnégation face aux douleurs (muscles, ampoules, articulations, tendons, etc.). On ne traverse pas le Morvan avec un épi de blé dans la bouche. On le traverse avec une lanière de cuir entre les dents.
De l’entraide : il faut savoir souffrir en silence mais aussi savoir dire à temps quand on a mal. Cela permet de se faire aider par les autres (se faire porter son sac en clair) et d’éviter la rupture. La rupture, c’est déjà trop tard : c’est l’échec mission. Soyons attentifs les uns aux autres pour éviter cela.
Voilà comment nous allons réussir.
15h00, descente en gare d’Avallon. « Sérieux, mais qu’est-ce qu’on fait là ? » !
Il fait déjà près de 35 degrés ce vendredi après-midi. Le bitume fond sous nos chaussures. On étouffe. Ce weekend, la moitié des départements Français sont en alerte canicule. Courage…
Notre programme : une traversée du Morvan en marche forcée, soit 120 km à couvrir en moins de 48h.
120km, c’est dur.
C’est tellement dur que nous avons déjà échoué par deux fois. Manque de temps, blessures, épuisement musculaire, etc. La tentative de 2017 a avorté à 10km de la gare du Creusot TGV, celle de 2018, à 5 km.
Nous abordons cette nouvelle épreuve avec humilité.
15h30. Annonce des objectifs. J1 – 40km, J2 – 55km, J3 – 25km.
Très vite, les réflexes d’expédition ressurgissent, le pas est donné par Maxime qui, montre en main, ouvre la marche et impose le rythme au groupe. Pour chaque 2 heures de marche, 10 minutes de pause.
Valentin veille à ce qu’il n’y en ait pas une minute de plus et Thomas, lui, à ce qu’il n’y en ait pas une de moins.
Cette discipline de fer qui, si elle peut paraître zélée et difficile à accepter, sera un élément structurant de la cohésion du groupe. Un signe également, que l’engagement collectif se doit d’être à la hauteur de notre objectif.
Les premières rotations s’enchaînent alors que le soleil commence à décliner dans le ciel de Bourgogne, nous traversons les premiers villages et suscitons les regards intrigués des habitants que nous croisons. Voilà déjà 5 heures que nous limons le bitume. Nous faisons étape dans un village pour remplir nos réserves d’eau en prévision de la nuit. Le propriétaire du bar du coin accepte de remplir nos bouteilles. Il aurait certainement préféré nous voir consommer en terrasse. Mais pas le temps de niaiser. Le chrono tourne et le Morvan n’attend pas.
A la nuit tombante, lampes frontales allumées, nous continuons d’avancer. Nous devons à tout prix mettre le plus de kilomètres possibles entre nous et cette gare d’Avallon d’où nous sommes partis en milieu d’après-midi. Nous en avons besoin, pour le moral et pour envisager une réussite de la traversée. Aussi, c’est peut-être parce que nous sommes pressés ou par manque de vigilance : à un carrefour nous prenons la mauvaise route et mettons plus de 30 minutes à rectifier l’erreur. Une incartade qui nous coûte 2 kilomètres une fois fait demi-tour, dérisoire peut-être, mais à l’échelle d’un défi comme le Morvan elle pourrait bien nous coûter l’arrivée. Restons donc vigilants.
Minuit passé, il nous reste une heure de marche avant de plier la journée. Une discussion s’organise pour savoir si nous devons faire un rapide détour et ne pas longer la départementale : éviter de devoir dormir à côté des voitures pour faire un détour qui nous prolongerait de plusieurs kilomètres. Le choix est vite fait pourtant, les camions peuvent bien rouler cette nuit, nous nous en tenons à l’itinéraire prévu. Il est près d’une heure du matin quand nous décidons enfin de nous arrêter pour la journée et jetons notre dévolu sur un sous-bois en bordure de chemin. Pas de tente à monter, tout juste un tapis de sol et un duvet pour chacun. Certains ont même fait l’économie du duvet. Question de style. Le pari, toujours un peu risqué, de limiter le poids du sac au maximum en échange de nuits plus frugales. Chacun des 7 membres de l’équipe ne se fait pas prier pour s’allonger et s’endormir. Un peu la boule au ventre en pensant aux kilomètres qui nous attendent demain, l’intuition partagée que demain sera une épreuve.
6h pile. L’équipe se réveille au cri du traditionnel “Debout les morts !”. Valentin a la responsabilité du réveil. Tonitruant. Le camp sort rapidement de sa torpeur, les réchauds s’allument et les nouilles sont mises à bouillir.
Le départ est donné à 7h tapantes et la colonne se remet en route.
Cette journée doit nous permettre de réaliser 55 km.
Lentement au début, le temps que les muscles endoloris se réchauffent ; nous avançons. Les heures passent et la canicule se rappelle à nous. A partir de 11h et jusqu’à 18h nous boirons 1 litre d’eau par heure.
Comme la veille, nous traversons de petits villages qui offrent un répit à la lassitude des paysages de champs et de cultures, qui kilomètres après kilomètres se suivent et se ressemblent. Nous arrivons à la fin de notre deuxième rotation de 2 heures ce matin, lorsque nous traversons le village de Blanot, et nous en profitons pour renflouer notre stock d’eau. Il se trouve que nous avons frappé à la porte du maire. Après nous avoir fait répéter plusieurs fois le nombre de kilomètres que nous comptons parcourir et notre destination finale, il nous demande pour quelle association nous marchons pour récolter des fonds. Nous lui répondons que non. « Nous faisons ça tous les ans pour nous entraîner en vue de futures expéditions : durcir notre moral, renforcer nos muscles et surtout souder le groupe. Bref, pour le plaisir ».
Les deux heures qui suivent sont exténuantes. Le soleil brûle. Nous marchons sur le bitume, le long d’une nationale toute droite, sans espace d’ombre pour nous abriter. Un chemin de Croix.
Le groupe s’étire et les écarts se creusent.
Au détour d’une colline, nous apercevons enfin Autun. Plus au loin, nous distinguons la haute colline qu’il faudra ensuite gravir. Ne pas y penser. Se concentrer sur l’instant et mettre un pas devant l’autre.
Alors que le soleil décline et que la lumière se colore progressivement des tons dorés de fin de journée, les rangs se resserrent. Le groupe se fait plus compact, quatre marcheurs devant, trois derrière, nous marchons ensemble en rangs serrés. Involontairement et pendant une trentaine de minutes, le groupe s’est rassemblé, l’atmosphère a changée et nous faisons face ensemble. Nous parlons peu, seul le bruit des bâtons résonne sur le bitume. Ce sera l’un des instants marquant de l’aventure et dont chacun d’entre nous évoquera le souvenir une fois arrivés.
Vers 19h, nouvelle pause. Les dernières minutes avant l’arrêt sont interminables. Au moment de repartir nous nous levons avec peine. Arrivés à Autun, un membre du groupe doit s’arrêter définitivement, atteint au tendon d’Achille. Le moral de l’équipe est affecté mais chacun serre un peu plus les dents et reprend la marche alors que la nuit tombe déjà.
Passé Autun, nous souffrons véritablement. Les muscles lancent, les articulations grincent, les pieds sont comprimés et les ampoules lacèrent. Les mâchoires serrées, les mains agrippant nos bâtons de marche, nous gravissons la côte dans l’obscurité et en silence.
Arrivés en haut, il nous reste une heure de marche. Nous comptons les minutes et les secondes avant de nous écrouler de fatigue dans un coin de forêt, choisi de façon totalement arbitraire. Il est minuit, nous avons marché 55km. Nous n’avons pas assez d’énergie pour nous réjouir.
Sans transition, 5h00 : « Debout les morts ! ».
Nous reprenons la marche pour les 25 derniers kilomètres. Nous marcherons deux fois 1h30 puis trois fois 1h. L’objectif du Creusot TGV n’a jamais été aussi proche. Et pourtant ces kilomètres du troisième jour sont les plus difficiles.
Pistes, bitume, forêts de ronce… Nous avançons. Deux d’entre nous sont mordus par des tiques, cet animal de compagnie désagréable.
Nous visons le café de Saint Sernin du Bois, à 14km de notre position de départ. Cette perspective nous offre un véritable confort psychologique. Il nous aide à avancer contre la douleur qui se renforce à chaque kilomètre. Nous arrivons, titubant, boitant, trainant des pieds. Faisions-nous peine à voir ? Le café nous est offert. L’accueil est chaleureux. Nous devons déjà repartir.
12km. Dernière ligne droite. Nous avançons machinalement sous le soleil de plomb. Chaque pas nous rapproche de la victoire. Avec ses cinq ampoules par pied, Valentin claudique et réprime une larme de douleur. Thomas est écrasé par la chaleur et peine à tenir le rythme. L’eau n’y suffit pas. Nous sommes tous à bout mais accrochons un grand sourire à nos visages.
Il nous faudra trois rotations d’une heure de marche pour apercevoir un premier TGV. La gare n’est pas loin, c’est presque gagné ! Encore quelques lignes droites et l’objectif se dévoile, à un kilomètre. Nous sommes euphoriques et oublions notre douleur alors que nous arrivons comme un bloc sur le parvis de cette gare.
Le Morvan, troisième édition réussie.
Par Jean Credoz et Valentin Drouillard
Instagram : @les_4_engages
Les clés du Morvan
La vitesse. La vitesse de marche est comprise entre 4,5km/h et 5km/h. Passer en dessous de 4km/h c’est user ses jambes pour un kilométrage insuffisant. C’est donc prendre le risque d’échouer.
La durée. Nous retenons trois cadences de marche : 2h de marche / 10 min de pause, 1h30 de marche / 10 min de pause, 1h de marche / 10 min de pause. Le choix d’une cadence dépend du niveau de notre épuisement. Il faut savoir bien marcher à l’instant t sans pour autant compromettre l’effort futur. Il faut savoir être et il faut savoir durer.
Les pauses. 10 minutes, strictes. Pour boire, pour manger, pour soigner ses ampoules. « Départ dans 5 min », « Départ dans 2 min », « Départ ». La discipline est une arme face à l’adversité.
Le sommeil. Une variable d’ajustement (5h de sommeil par nuit maximum) qui dépend essentiellement du kilométrage accompli. « Bien marcher = dormir ». « Mal marcher = pas dormir ».
L’alimentation. Ni trop, ni pas assez. Ne pas trop porter. Donner au corps ce dont il a besoin.
Lyophilisés Mx3 (excellent rapport calorie/poids ; goût fondue conseillé) + nouilles chinoises yum yum (ne pas prendre goût crevette) + cafés soluble (en dosettes) + fromage + jambon + beurre + baguettes de pain complet + compotes + bonbons + saucisson + bouteilles d’eau 1,5L + bananes + pommes + gerblés
Le couchage. Tente interdite pour éviter le surpoids et le temps perdu à monter / démonter. Nous dormons léger. Tapis de sol, duvet.
La devise. Sourire et faire face, la douleur est une information.
Le matériel du Morvan
– Sac à dos de randonnée léger et confortable avec une bonne capacité de charge (25-40L)
– Bonnes chaussures de randonnée, si possible déjà faites.
– Sac de couchage fortement conseillé (15°C, confort)
– Montre chronomètre/GPS. Mesurer la distance parcourue et réguler le temps de marche.
– Bâtons de marche. Un atout décisif sur 120km pour garder le rythme et soulager les jambes.
– Baume du tigre. Le baume foncé soulage la tension musculaire. Le baume clair soulage les piqûres d’insecte.
– Réchaud. Le critère à prendre en compte est la rapidité de cuisson qui permet de gagner du temps de sommeil
– Casquette, lunettes de soleil, crème solaire.
– Application maps.me qui permet de gagner du temps, du poids de carte et d’économiser. Utilisable en mode avion.
– Compeed et elastoplast (en quantité). Aiguille pour percer les ampoules et désinfectant.